Présidentielle 2022 : L’influence politique des réseaux sociaux au cœur de la future campagne électorale

Le 19 février 2021, les youtubeurs Mcfly et Carlito annoncent un défi que le président de la République leur lance : faire une vidéo de sensibilisation aux gestes barrières atteignant 10 millions de vues pour pouvoir tourner à l’Elysée avec le chef de l’Etat lui-même. La nouvelle a fait le tour des médias et l’objectif a été rapidement atteint. Cette opération de rappel des gestes barrières a été perçue par certains comme un coup de communication d’Emmanuel Macron. Selon Libération, il s’agirait d’une « opération séduction pour le candidat Macron » lui permettant de toucher les moins de 25 ans.

Le Gouvernement actuel utilise énormément les réseaux sociaux pour communiquer. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, est devenu « influenceur ». Il a réalisé des nombreux directs sur diverses plateformes de partage vidéo, telles que Twitch, YouTube ou Instagram. Il a aussi fait des apparitions aux côtés d’influenceurs de tout type, comme par exemple, avec Swan et Néo qui n’ont respectivement que 9 et 15 ans et donc une audience particulièrement jeune.

Dans les médias traditionnels, les journalistes ont des connaissances leur permettant de critiquer les arguments des politiques. De plus, le CSA impose le principe de pluralisme politique dans les médias, il y a notamment un contrôle du temps de parole en période électorale. Ce type de régulation semble difficile à mettre en place sur Internet, il est ainsi légitime de se demander si le résultat de l’élection présidentielle de 2022 se jouera sur les réseaux sociaux.

I. Les règles encadrant linfluence politique dans les médias

Des règles ont été posées par le législateur et régissent la parole des élus dans le but de garantir le pluralisme politique. Deux périodes sont à distinguer dans cette communication : hors période électorale et période électorale.

En temps normal, hors période électorale, les élus ont une large liberté de s’exprimer dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux. Pour assurer le pluralisme, la « règle des 50 % » doit être appliquée. On distingue le « bloc majoritaire » incluant les interventions du président de la République, les membres du gouvernement et les représentants de la majorité parlementaire, et l’opposition. Ainsi, l’opposition parlementaire doit bénéficier d’au moins 50% du temps de parole total (Art. 1, II, CSA, Délibération n° 2009-60 du 21 juillet 2009).

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) contrôle cette répartition et veille à ce que les partis non représentés au Parlement et que les formations parlementaires ne relevant ni de la majorité ni de l’opposition continuent de bénéficier d’un accès équitable aux moyens de communication audiovisuelle.

La période électorale est quant à elle régie par les articles L47 A et suivants du Code électoral. Toute la communication audiovisuelle est concernée et doit se soumettre à un cadre strict. C’est également le cas pour l’internet, puisque l’article L48-1 du Code électoral prévoit qu’en matière de propagande électorale, « les interdictions et restrictions » du code précité sont « applicables à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ».

De plus, le CSA pose des exigences spécifiques pour chaque élection et veille au respect du principe d’équité médiatique entre les candidats. Mais plus la date de l’élection se rapproche, plus les règles se durcissent pour finalement aboutir à un principe d’égalité : c’est alors que le temps de parole des candidats est chronométré. Pour contrôler l’égalité du temps de parole, le CSA vérifie les chiffres que les chaînes de télévision lui transmettent.

Tel que cela avait déjà été signalé en 2017 par le Professeur Hervé Isar, « le développement des communications électroniques en ligne bouscule nos usages politiques, interroge notre droit électoral et nous oblige à faire évoluer les sanctions ». Cette évolution n’a pas encore eu lieu, mais le retard sera peut-être rattrapé par le biais du projet de loi présenté devant le Conseil des ministres le 24 mars 2021. Ce projet prévoit l’élargissement du champ de compétence du CSA aux plateformes de partage de vidéo en ligne, toutefois son efficacité en matière de communication politique n’est pas garantie.

Des règles de régulation de la communication des politiques existent, mais leur application aux réseaux sociaux et aux plateformes de partage de vidéos en ligne est actuellement difficile, notamment à cause de l’énorme masse de contenus qui est chaque jour publiée et les limites du pouvoir de sanction du CSA. En réalité, l’influence politique des contenus partagés sur internet ne semble pas pouvoir être maitrisée, d’autant plus que la limite entre la parole gouvernementale et le discours de campagne est difficile à tracer.

II. Linstrumentalisation des influenceurs par le gouvernement pour toucher les jeunes

Le flou juridique autour d’internet persiste et tous les acteurs politiques en tirent profit. Des nombreux politiques ont décidé, par exemple, de créer des chaînes YouTube tels que Jean-Luc Mélenchon et Florian Philippot. Les réseaux sociaux leurs permettent de s’exprimer de manière illimitée tout en touchant les jeunes. Le gouvernement a compris l’influence politique du net, ainsi sa stratégie de communication inclut des collaborations avec des influenceurs.

Selon l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, un influenceur est « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ». Il a développé une relation particulière avec sa communauté, avec un vrai lien de confiance. Le fort pouvoir de suggestion que l’influenceur possède peut être utilisé pour vendre des produits ou services, mais également transmettre des idées et des opinions.

Ce pouvoir de suggestion est actuellement exploité par Emmanuel Macron qui en invitant des Youtubeurs à l’Elysée cherche à redorer son image auprès des moins de 25 ans. Même si ces « collaborations » sont désignées comme des simples communications gouvernementales ou des interventions non politisées, elles peuvent rendre les politiques plus sympathiques chez les jeunes. Ces interventions sur Internet visent les jeunes futurs électeurs qui ne sont pas forcément encore politisés et qui, n’ayant pas encore le recul suffisant pour analyser les discours politiques, seront influencés par ces « coups de com’ ». Selon Mathieu Slama, communicant et analyste politique, « il s’agit donc ici bien davantage de propagande que de communication ».

Les membres du gouvernement et le président de la République s’exposent sur les réseaux sociaux et leur stratégie est un succès puisque les contenus les concernant sont relayées. Cette visibilité se traduit par une hausse de 11% en trois mois de la cote de popularité du président de la République chez les jeunes.

Les réseaux sociaux jouent un rôle crucial lors de élections et des mouvements sociaux. La suspension des comptes de Donald Trump après les évènements du Capitole en janvier 2021, illustre leur volonté d’autoréguler les contenus, mais au passage ils portent arbitrairement atteinte à la liberté d’expression. De plus, les algorithmes de régulation qu’ils utilisent sont obscurs, ainsi faire confiance aux GAFAM pour contrôler les publications sur leurs plateformes n’est pas une solution. D’autant plus que l’affaire Cambridge Analytica a dévoilé leur influence politique sur l’élection présidentielle américaine de 2016.

Une régulation efficace des réseaux sociaux semble actuellement difficile, le seul espoir est donc l’éducation aux médias et à l’information des utilisateurs. En donnant les connaissances et les outils pour analyser et critiquer les discours politiques, la manipulation de la population lors des campagnes électorales pourrait être évitée.

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