Édito

Ballon brun

Ballon brun
Roman Zozulya. Keystone
Racisme

Pour la première fois, un match de football a été stoppé dimanche en Espagne pour cause d’invectives venues des tribunes. Cris racistes, sexistes ou homophobes? Appels à la violence? Vous n’y êtes pas du tout: les chants des supporters de l’équipe du Rayo Vallecano s’en prenaient à Román Zozulya, attaquant de l’Albacete, qu’ils ont copieusement traité de «nazi» une mi-temps durant. La cible était bien connue des ultras du Rayo, les Bukaneros, mais aussi de peñas plus modérées qui avaient déjà fait échouer son transfert dans le club de la banlieue de Madrid en 2017.

De fait, le joueur ukrainien de 30 ans ne cache guère ses sympathies pour l’extrême droite et notamment son leader historique, Stepan Bandera. En 2015, Román Zozulya avait ainsi affiché sa ressemblance avec le collaborateur des nazis dans un tweet qu’il n’a jamais effacé. Ce «patriote», comme il se désigne, est aussi fondateur et financier d’une milice engagée au Donbass, baptisée Narodna Armiya (Armée du peuple), délicate référence à l’armée homonyme de Symon Petlioura, responsable de dizaines de milliers d’assassinats de juifs en 1919-1920.

Un lourd passif qui n’empêche pas M. Zozulya d’apparaître en victime de la «violence» des supporters. Dans une communication digne de 1984, la Fédération espagnole de football (RFEF) a soutenu la décision arbitrale, en insistant sur sa «condamnation» du «racisme» et de la «xénophobie» dont aurait été victime le joueur ukrainien. Les dizaines de footballeurs de couleur jouant chaque week-end en Espagne sous les cris de singes des «supporters», sans que jamais un match n’ait été stoppé, apprécieront à sa juste mesure le plaidoyer fédératif. Dommage également que ces belles paroles n’aient jamais été appliquées aux chants ouvertement racistes («quel dommage que ton canot n’ait pas crevé»), aux drapeaux fascisants, aux insultes homophobes et aux banderoles sexistes, qui polluent régulièrement les stades espagnols.

L’affaire a bien évidemment un fond politique et financier. Pour le propriétaire du club, Raúl Martín Presa, favorable à l’arrêt du match, l’occasion est belle de discréditer ses encombrants supporters qui résistent depuis des années à la transformation de leur Rayo Vallecano en un juteux business. Un objectif pour lequel l’homme d’affaires madrilène peut compter sur l’appui déterminé de la Ligue de football pro espagnole, dont le patron, Javier Tebas, est connu pour ses idées ultraconservatrices.

Pourtant la question dépasse ce microcosme sportif. Elle dit à quel point les idées les plus réactionnaires et la promotion du business se marient parfaitement et pourquoi il s’agit de toujours les combattre de pair.

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