Soupçonné d'abus sexuels, le "psy de l'Eglise" Anatrella est démis de ses fonctions, mais s'accroche
Je m’abonne pour 1€/semaineTony Anatrella est soupçonné d'abus sexuels depuis des années. Ses avocats ont déposé un recours contre sa sanction.
C'est une référence au sein de l'Eglise. Tony Anatrella, 77 ans, prêtre du diocèse de Paris, est désormais interdit de ministère, de confession et d'activité thérapeutique. Soupçonné d'abus sexuels sur des jeunes hommes, le prêtre a été sanctionné ce mercredi 4 juillet par l'archevêque de Paris, Monseigneur Michel Aupetit.
Prêtre du diocèse, Tony Anatrella porte plusieurs casquettes au sein de l'Eglise. Il a été consulteur auprès de conseils pontificaux au Vatican, où s'élabore la morale de l'Eglise sur l'éducation sexuelle, l'avortement ou le mariage homosexuel (qu'il a combattu de toutes ses forces). P
sychanalyste, le prêtre se présente en outre comme un spécialiste de psychiatrie sociale. Il exerce en cabinet et participe à des recherches sur la psychologie des jeunes. Mais il n'est titulaire que d'un master en psychologie, et n'est donc pas médecin psychiatre. Pourtant, il est devenu le principal "psy" de l'Eglise, celui à qui on confie les cas sensibles : les catholiques homosexuels, les prêtres pédophiles ou encore les victimes d'abus sexuels.
Tony Anatrella possède donc une grande influence à Paris comme à Rome. Il a été fait "Monseigneur" par le Vatican, un statut honorifique. Il a aussi été associé à la rédaction de la brochure de la Conférence des évêques "Lutter contre la pédophilie", publiée en 2000.
Tony Anatrella a également été aumônier au lycée Arago, dans le 12e arrondissement de Paris. Il donne des cours publics sur les questions de la morale sexuelle au Collège des Bernardins et il a publié une dizaine de livres sur la jeunesse : "Interminables adolescences", "L'Eglise et l'amour" ou encore "Adolescence au fil des jours" dans lequel il explique qu'"une mauvaise note, une parole offensante, un geste déplacé peuvent compromettre l'avenir des adolescents souvent considérés comme des adultes qu'ils ne sont pas".
Un premier signalement... il y a 17 ans
Pourtant, c'est cette personnalité influente de l'église qui vient d'être écartée du diocèse de Paris. Les accusations d'abus sexuels contre lui ne datent pourtant pas d'hier. Le premier signalement remonte à 17 ans, la première plainte à 12 ans... et les accusations courent sur 30 ans ! Mais l'Eglise vient seulement de réagir.
En 2001, Eric, que "Mediapart" a rencontré, avait alerté l'archevêque de Paris de l'époque, Jean-Marie Lustiger. Son témoignage est explicite. Comme plusieurs des victimes présumées du prêtre, Eric est catholique et craint d'être homosexuel. Tony Anatrella lui est alors conseillé. Le psychanalyste lui explique qu'il souffre de "pseudo-homosexualité" et qu'il lui faut évacuer ses pulsions en se livrant à une thérapie corporelle - des massages nus, des fellations et des masturbations -, puis analyser les émotions ressenties.
Dans son courrier adressé à l'Eglise, Eric affirme "avoir eu l'occasion de vivre une relation particulièrement dommageable avec un prêtre du diocèse de Paris" et que "les faits relèvent de l'abus de confiance, de l'escroquerie et de l'abus sexuel". Jean-Marie Lustiger reçoit Eric, mais ne donne aucune suite à cette rencontre.
En 2006, Eric dépose donc plainte. Il est suivi par deux autres anciens patients. Eux aussi accusent Tony Anatrella de "thérapies déviantes". Eux aussi ont dû se déshabiller pour que le prêtre se livre à "des massages". Mais l'enquête préliminaire, conduite par le parquet de Paris, a été classée sans suite en septembre 2007. Les faits étaient prescrits pour deux des cas et le parquet avait considéré qu'il n'y avait pas d'éléments constitutifs d'une infraction pour la troisième plainte. Les victimes ont également prévenu huit évêques. Mais le juge ecclésiastique de l'archevêché a estimé "qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une procédure canonique", après le classement sans suite de la plainte...
"Une omerta organisée"
Malgré les plaintes, l'Eglise soutient donc Tony Anatrella et le psychanalyste continue d'exercer.
Pourtant, "tout le monde savait qui était Anatrella", affirme au "Point" Philippe Lefebvre, dominicain français. Mais "il a été couvert par un silence puissant, une omerta organisée". Lui-même a lancé l'alerte ; il a même écrit plusieurs lettres au président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur Georges Pontier. Mais il n'a pas reçu de réponses. Pire encore :
"On me conseillait de faire attention, on me disait que Tony Anatrella n'était pas n'importe qui."
Dix ans après les premières plaintes, en 2016, d'autres patients se tournent à leur tour vers la justice. Comme Fabien, qui a suivi une thérapie avec lui jusqu'en 2011. Il raconte que certaines séances sont pour le moins spéciales. "C'était des séances où je ne payais pas, et qui duraient une heure au lieu d'une demi-heure, soit en fin de journée, soit le samedi matin lorsque son assistant n'était pas là", déclare-t-il à "Mediapart".
Cette fois-ci, l'Eglise, accusée d'étouffer l'affaire, préfère mettre en place une commission d'audition, chargée de recueillir la parole des plaignants. Le 20 février 2016, une procédure canonique est ouverte. L'archevêque de Paris de l'époque, le cardinal André Vingt-trois, encourage les victimes à porter plainte.
Après des mois de procédure, le nouvel archevêque de Paris, Monseigneur Michel Aupetit, décide de sanctionner le prêtre ce mercredi.
Un recours suspensif ?
Tony Anatrella a toujours nié avoir eu le moindre geste déplacé et, loin d'accepter la décision de l'Eglise, le prête et ses avocats ont déposé ce vendredi un recours contre la sanction de l'archevêque.
Mgr Anatrella "vient de déposer un recours pour obtenir l'annulation des effets d'une telle décision", écrivent l'abbé Bernard du Puy-Montbrun, avocat ecclésiastique du prêtre, et Me Benoît Chabert, son conseil "laïc", pour qui "ce recours suspend" la sanction.
Mais selon les avocats de Tony Anatrella, "l'enquêteur délégué" auprès de l'officialité (tribunal ecclésiastique) de Toulouse, qui a hérité du dossier, "a conclu, le 19 mars 2018, qu'aucun délit n'était imputable" au prêtre-psy, "et cela indépendamment de toute prescription".
Leur client "est donc totalement innocent des faits qui lui sont injustement reprochés", souligne leur communiqué.
Interrogé par l'AFP sur ce recours, le diocèse de Paris n'a pas souhaité le commenter.
E.P.
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