Le Plus, L'Express et le JDN victimes d'une intox à grande échelle

Le Plus, L'Express et le JDN victimes d'une intox à grande échelle Photos volées, fausses identités, emplois bidons dans des entreprises bien réelles... Des agences de communication ont envahi les espaces de libre expression des médias Web.

La tribune libre est une rubrique bien connue des médias. On y offre la possibilité à une personne dûment identifiée de défendre une position et de présenter un argumentaire partisan. Les nom et fonction de la personne étant clairement mentionnés, le lecteur est capable de juger de l'analyse qui lui est proposée et de se faire une opinion personnelle. Bien décidés à vendre leurs services, certaines agences de relations presse, dont l'activité classique se monnaie à la baisse, ont tendance à recommander l'usurpation d'identité pour faire parler de leurs clients. Le lieu de prédilection de cet enfumage organisé ? Les rubriques de libre expression des sites comme Le Plus du Nouvel Observateur, le Cercle des Echos, les blogs du magazine Capital, les pages Express Yourself de L'Express ou...les Chroniques du JDN.

L'espace n'étant pas limité sur le Net, ces médias ont pris l'option d'ouvrir leurs colonnes à des contributeurs extérieurs à même de nourrir le débat par leurs prises de position. Contournant les règles imposant d'intervenir sous sa véritable identité, nombre de prestataires ou de services de communication ont choisi d'opter pour l'intox à grande échelle. Ou profitent des audiences de ces sites médias pour doper leur référencement en plaçant des liens pointant vers les pages de leurs clients sur des mots-clés précis.

 

Voici décryptés les cinq principales techniques employées par ces falsificateurs de l'information :

Inventer un faux nom

A la fois banal et singulier, il doit être suffisamment crédible pour ne pas être suspecté mais ne pas non plus sentir le pseudonyme fabriqué. Car sinon une simple recherche sur Google permet de montrer que la personne en question n'a, avant cette prise de parole, aucune existence numérique. C'est évidemment possible mais toujours surprenant. Pas un profil sur un réseau social comme LinkedIn ou Viadeo, ni la moindre page Facebook ou inscription sur Copains d'Avant ? Cela augure mal de la réalité de la personne affichée. Ainsi par exemple Leila Bernardin ne dispose d'aucune existence numérique en dehors de ses chroniques dans Le Journal du Net. Idem pour Catherine Delarge ou Anaïs Roy....

Trouver un visage non disponible sur Internet

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A gauche : Stéphane Filippi sur le JDN. A droite : Brett Allison sur Facebook.  © JDN-Facebook

Une fois inventée l'identité, il faut incarner le personnage. Au Journal du Net, nous avons imposé la publication d'un portrait. Ce qui a un temps compliqué le travail des usurpateurs. Car il fallait alors trouver un visage... et celui-ci doit bien au final appartenir à quelqu'un. On comprend alors que des photos d'annuaires papier – donc non accessibles lors d'une vérification par recherche d'image sur un moteur comme Google – constituent une mine précieuse. Et quelques fois, sans doute pris par le temps ou par facilité, les usurpateurs volent la photo sur la Toile. Par exemple, le Stéphane Filippi qui écrit dans le JDN en tant que formateur a un "sosie" sur Facebook qui travaille dans les assurances dans l'Arkansas.

Idem pour François Morillon qui s'annonce comme consultant en stratégie auprès du JDN mais qui apparaît sous les traits de Sébastien L. sur Foursquare.com.

Se présenter comme un salarié d'une entreprise/institution de renom

Consultant indépendant, journaliste free lance, analyste... Voilà généralement les emplois affichés par ces usurpateurs. On s'étonne d'ailleurs qu'ils n'aient aucune autre visibilité numérique, ce qui est peu réaliste quand on sait que le consultant indépendant doit faire vivre sa marque personnelle pour assurer sa visibilité et le développement de ses affaires. Rien ne vaut pour crédibiliser son propos de signer au nom d'une enseigne prestigieuse. Ainsi pendant plusieurs semaines Marc Chevrier a signé des chroniques dans le JDN au nom du département fusions & acquisitions aux Etats-Unis du très établi cabinet de recrutement Mercuri Urval. Jusqu'à ce que la directrice générale du cabinet précise que celui-ci ne comptait aucun salarié de ce nom dans l'ensemble de ses filiales.

D'ailleurs ce Marc Chevrier fait également les belles heures du site du magazine L'Express où il signe en mentionnant l'Université de Tbilissi en Géorgie (L'Express a effacé son profil suite à la publication de notre article).

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Marc Chevrier est inconnu chez Mercuri Urval © Capture d'écran JDN

En outre une simple visite sur le site Theses.fr qui rassemble l'ensemble des thèses de doctorat soutenues en France depuis 1985 confirme qu'il n'existe pas de titulaire de thèse à son nom. Malgré la précision des informations affichées, tout est faux.

Ici un prétendu Laurent Duhesmes annonce travailler pour le Musée d'Orsay alors que cette maison ne compte absolument aucun collaborateur à ce nom.

Même situation chez la très haut de gamme HSBC Private Banking chez qui on affirme n'avoir jamais recruté d'analyste du nom d'Edouard Cachan. Celui-ci prend également la plume dans les colonnes du site du magazine Capital.fr.

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Le blog d'Edouard Cachan sur Capital.fr © Capture d'écran Capital.fr

Le prétendu doctorant-chercheur David Meynard  qui met en avant ses fonctions à l'Université canadienne de Colombie-Britannique a ainsi la particularité académique de ne publier que dans le JDN. Cela risque de ne pas suffire pour obtenir sa titularisation universitaire.

Créer un univers numérique pour donner de la crédibilité à la fausse identité

Si ces faux profils ne sont pas créés à la va-vite, leur influence est renforcée quand ils ont en outre des comptes Facebook ou Google + pour contribuer à crédibiliser leur existence. C'est le cas avec le pseudo consultant RH intervenant dans le JDN Ladislas Arotsky, et son compte Google + créé pour l'occasion (le compte a lui aussi été supprimé à la suite de la publication de cet article).

La publication dans des supports de référence assure une exposition optimale.

Ainsi le prétendu universitaire de Colombie britannique David Meynard se retrouve-t-il cité dans la revue de presse officielle de l'Autorité de régulation des Télécoms, l'ARCEP.

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La prose de David Meynard reprise par l'Arcep © Capture d'écran Arcep.fr

Et le fantomatique journaliste Henry Maggi, en fait un communicant payé pour assurer la com' d'un site commercial, est solennellement tweeté par le Centre d'Analyse stratégique du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Idéal pour consolider une réputation.

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Et Henry Maggi twitté par le CAS © Capture d'écran Twitter

Occuper le terrain médiatique en prenant régulièrement la parole et soigner par la même occasion le référencement naturel

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Le faux journaliste Henry Maggi a les honneurs du Nouvel Obs. © Capture d'écran Nouvelobs.com

Prenons l'exemple du site Educadis.fr qui se présente comme le "moteur de recherche des formations en ligne". Désireux de faire parler de lui et de son métier en termes favorables, il rémunère donc un rédacteur qui a pour mission de produire les articles et de les diffuser. Un "package" qui doit se réaliser en toute discrétion. Pour ne pas faire douter de la sincérité de l'analyse et de la loyauté de la démarche.

C'est ainsi que naît de l'imagination des dirigeants d'Educadis le journaliste Henry Maggi qui va même réussir à se faire sélectionner par la rédaction du très reconnu Nouvel Observateur.

Renseignements pris et joint par téléphone par le JDN, le rédacteur confirme dans un premier temps s'appeler Henry Maggi. Il faudra lui démontrer le caractère factice de son profil pour qu'il admette qu'il s'agisse d'un nom d'emprunt et qu'il a agi en échange d'une rémunération payée par les dirigeants d'Educadis pour soigner la e-réputation de leur jeune pousse. Création d'une fausse identité, utilisation d'une qualification usurpée de journaliste et d'une fausse photographie, et intention de soigner leur référencement naturel en obtenant des articles favorables... les managers d'Educadis ont reconnu l'accumulation de fraudes. Qu'ils mettent sur le compte d'une erreur de jeunesse de la part d'entrepreneurs voulant réussir vite. Dont acte.

En tous cas, cette démarche frauduleuse n'est certainement pas que le fait de start-ups qui tâtonnent dans la construction de leur image de marque en ligne. Mais elle se retrouve désormais à grande échelle dans les sites de médias. Qui sont à leur insu, et à celui de leur lectorat, associés à des opérations de communication destinées à façonner l'opinion publique numérique. Ce n'est pas nouveau, certes, mais désormais cela se déroule à une échelle industrielle et sur ce terrain d'expression ouvert qu'est le Net. Vous voilà prévenus.

Lire la suite de notre enquête : Numericable, Vivarte et neuf autres marques impliquées dans l'opération d'intox sur Internet

Être publié sur le JDN : principes à respecter
Le JDN s'est fixé comme principe de ne pas publier de chroniques dont il ne connaissait pas l'auteur. La rédaction s'autorise à publier des textes qui pourraient être signés par un pseudonyme dès lors que le sujet abordé l'exigerait et que l'identité réelle du signataire serait connue de la rédaction du JDN.